Source The Indépendent
À Safed, la vie d’un survivant de l’holocauste est de nouveau en danger
Dans la ville israélienne de Safed, un homme de 89 ans a été accusé de trahison pour avoir accueilli des étudiants arabes. Reportage de Catrina Stewart.
D’abord, ils ont menacé de brûler sa maison. Ensuite ils ont punaisé des tracts sur sa porte d’entrée le dénonçant comme un traître juif. Mais Eli Tzavieli, un survivant de l’holocauste de 89 ans, relève le défi. Son seul « crime » est de louer ses chambres à trois étudiants arabes qui font leurs études à Safed, une ville religieuse au nord d’Israël qui jusqu’ici était surtout connue comme l’un des berceaux de la Kabbale et à cause de la visite effectuée en 2009 par la chanteuse Madonna sur la tombe du rabbin Isaac Luri, l’un de ses fondateurs.
Une campagne lancée par Shmuel Eliyahu, le rabbin en chef radical de la ville, qui a culminé avec un règlement interdisant aux habitants de louer des chambres à des Arabes israéliens, entraîne que Safed est en train de devenir rapidement un synonyme de racisme.
« Je ne cherche pas les ennuis, mais quand il y a un problème, je l’affronte», dit M. Tzavieli, un Juif qui a survécu aux camps nazis de travail forcé et dont les parents ont péri à Auschwitz. « Ces ( locataires ) sont des gosses épatants. Et je fais de mon mieux pour les mettre à l’aise. »
Au cours d’une réunion d’urgence, le mois passé, M. Eliyahu, fils d’un ancien rabbin en chef d’Israël, a lancé , avec 17 autres dirigeants religieux une msie en garde : les 40.000 habitants juifs de la ville seraient menacés par une « prise de pouvoir arabe ».
Il semble que cette déclaration ait déclenché une campagne de harcèlement contre M. Tzavieli pour le pousser à mettre les étudiants à la porte. Comme le retraité avait prêté peu d’attention à ses agresseurs, il a reçu une menace anonyme de mettre le feu à sa maison et une campagne virulente d’affiches l’a accusé de « ramener les Arabes » à Safed.
M. Eliyahu, qui avait plaidé une fois pour le massacre en masse des civils palestiniens de Gaza pour stopper l’envoi des missiles Qassam, a décliné toute interview.
S’étalant au sommet d’une colline en Haute Galilée, Safed est une des plus pittoresques villes d’Israël, jouissant d’une vue dominante sur le nord du pays. Ccentre important de la Kabbale ou mysticisme juif, c’est une des quatre villes les plus saintes du judaïsme, et chaque année elle attire une foule variée de célébrités.
En 1948, Safed était une communauté mixte de Juifs et de Palestiniens arabes avec environ 10 000 Palestiniens vivant en ville. Lorsque les forces juives combattirent pour son contrôle, les Palestiniens s’enfuirent, et parmi eux Mahmoud Abbas, alors âgé de 13 ans, qui allait devenir Président de l’Autorité palestinienne.
Après la fondation d’Israël, certains Palestiniens acceptèrent la citoyenneté israélienne et restèrent en Israël, et maintenant ils sont 1,5 millions, un cinquième de la population du pays.
De nos jours, Safed abrite une grande communauté de Juifs ultra-orthodoxes, qui sont profondément conservateurs et observent un code strict de comportement, impliquant entre autres de ne pas conduire ou fumer en public pendant le sabbat.
Pendant que Mr. Tsavieli pose pour une photo devant l’entrée de sa maison dans la vieille ville de Safed, un travailleur juif lui lance : « Je vous mets en garde, cela ne vous fera pas du bien d’attirer ainsi l’attention. »
Le retraité continue à sourire, mais il est clair qu’il est un peu secoué. Assis dans la cour arborée de sa maison, il parle de son considérable travail benévole social, dont une période contrôleur judiciaire (« Dès que tu as un problème, Eli, tu nous le fais savoir», lui a dit un ancien détenu après avoir entendu parler des menaces), et dit qu’il essaie seulement de faire une « bonne action ».
Pendant qu’il parle, Nimran Grefat, un de ses locataires arabes, passe rapidement pour prendre quelques livres pour son prochain cours, s’arrêtant un bref instant pour causer. « C’est un brave homme, il est comme un père pour nous», dira plus tard M. Grefat, 19 ans, de son propriétaire. « Il nous a dit ‘ si quelqu’un vous fait du tort, il me fait du tort à moi.’ »
La tension dans la ville est montée d’un cran après un affrontement violent entre une foule juive et des étudiants arabes. Une trentaine de jeunes Juifs s’étaient rassemblés devant un immeuble loué à des étudiants arabes, lançant des bouteilles et scandant « Musulmans puants » et « Mort aux Arabes ». Les étudiants ont répliqué en lançant des pierres, incitant un policier israélien à tirer avec son fusil. Il a été inculpé plus tard avec un ami pour avoir tiré à balles réelles.
M. Grefat dit qu’il a peur et il considère même de laisser tomber ses études ou de déménager dans un foyer. Encouragé à tenir bon par M. Tsavieli, il prend des mesures de précaution élémentaires, comme ne pas rentrer seul tard la nuit. ‘Je ne suis pas venu ici pour y vivre», dit-il. « Je ne vais pas construire une famille ici. Je suis simplement venu pour trois ans pour étudier, après quoi, je retourne dans mon village. »
Les tensions dont beaucoup espéraient qu’elles se limiteraient à Safed se répandent dans d’autres villes aussi. Le $$maire adjoint de Carmiel, à seulement 30 km de Safed, a récemment été démis pour des déclarations anti-arabes et pour avoir employé une milice pour empêcher des Arabes d’entrer dans la ville.
Beaucoup de défenseurs des droits civiques ont mis en garde : les événements dans le nord d’Israël ne sont pas des phénomènes isolés, mais plutôt un symptôme du racisme et du sentiment anti-arabe croissants suscités par le virage à droite des dernières années.
« Le gouvernement devrait atténuer ces tensions, mais en fait il provoque leur escalade avec des nouvelles lois et l’absence de décisions », dit Ali Haider, un directeur de Sikkuy, une organisation israélienne qui se bat pour l’égalité civique.
Plusieurs lois actuellement en cours d’adoption à la Knesset ont été éreintées par des commentateurs libéraux comme racistes ou anti-arabes, à ceommencer par la loi de loyauté exigeant des nouveaux citoyens de jurer allégeance à un Israël « juif et démocratique ». De plus, de petites communautés juives font pression pour déterminer qui peut et qui ne peut pas s’installer dans leur communauté, une exigence généralement interprétée comme une action pour exclure les Arabes.
Le Ministre provocateur des Affaires étrangères Avigdor Lieberman a même proposé un transfert de population dans le cas d’un accord de paix qui verrait les citoyens arabes israéliens placés sous souveraineté palestinienne.
Ces propositions ont suscité un barrage de critiques de la gauche du spectre politique, mais des observateurs disent que de telles idées sont en train de devenir dominantes, comme le prouve le fort soutien dont bénéficient Lieberman et son parti ultra-nationaliste Yisrael Beitenu, le troisième parti du pays en taille. Plusieurs commentateurs israéliens ont lancé un cri d’alarme contre ces tentatives d’exclusion, avertissant que les tendances dominantes en Israël commencent à ressembler à la politique de la période nazie.
« Dans d’autres pays, à d’autres moments, la vente et la location à des Juifs étaient défendues, et ceux qui violaient l’interdit étaient sévèrement punis. Nous nous souvenons tous où cela a mené», a écrit Ziv Lenchner dans une tribune libre sur le site d’information israélien Ynet. « Est-ce que nous nous en souvenons vraiment ? »
Mais cet argument n’impressionne guère à Safed, où beaucoup d’habitants ressentent les 1.350 Arabes qui étudient dans l’institut supérieur proche comme une perturabation qui menace le caractère religieux et juif de la ville, notamment par la peur de mariages mixtes.
« Je vois les Arabes ici porter des chaînes en or et on se croirait en Syrie», dit une jeune femme qui porte un modeste foulard pour se couvrir les cheveux. « Ceci est une ville orthodoxe, et [ça] c’est impur. »
Une nouvelle école médicale va ouvrir dans la région l’an prochain, provoquant parmi les Juifs la crainte qu’elle attirera encore plus d’Arabes dans la ville.