Pédophilie : Une pédopsychiatre obligée de s'exiler
Nous avons rendez-vous avec Catherine Bonnet à la gare du Nord, à Paris, devant l’Eurostar. Elle rentre en Angleterre, où elle s’est exilée : « Vous me reconnaîtrez, j’ai un manteau bleu turquoise, deux valises et un sac à dos. Depuis que j’ai dû quitter la France, je nomadise avec mes affaires. » La folle aventure de cette pédopsychiatre parisienne commence en 1996. Cette année-là, en signalant aux autorités judiciaires des agressions sexuelles subies par des enfants, Catherine Bonnet était loin d’imaginer que ces enfants seraient considérés comme menteurs et qu’on s’acharnerait à la « museler ». Pouvait-elle se douter qu’elle perdrait travail et logement, contrainte de devenir, à soixante-deux ans, pédopsychiatre intérimaire dans des services hospitaliers britanniques ?
En 1996, année où éclate l’affaire Dutroux, Catherine Bonnet a acquis une solide réputation de spécialiste de la maltraitance à enfants. C’est sans doute pourquoi arrivent dans son cabinet des victimes d’inceste de plus en plus nombreuses, de plus en plus jeunes, mais aussi ayant subi des agressions sexuelles filmées ou organisées dans des réunions d’adultes. C’est souvent dans le cadre d’un divorce que l’enfant séparé du parent agresseur parle, refusant d’aller en visite chez celui-ci. Relayés par des associations de pères, certains évoquent « 30 à 70 % de “ fausses allégations ” d’enfants manipulés par des mères hystériques désireuses de retirer aux pères leur droit de visite ». « Pourtant, explique Catherine Bonnet, les études prouvent que, si les fausses allégations existent, leur pourcentage reste faible. »
Très vite, les premières plaintes de pères arrivent au conseil départemental de l’ordre des médecins, demandant la radiation de la psychiatre. « Seuls les parents présumés agresseurs ont été reçus. Ni les autres parents, ni les enfants victimes, ni les experts ou les collègues qui ont vérifié mes diagnostics ne seront auditionnés. »
Malveillance intentionnelle ou déni d’une réalité insupportable ? Peut-être un peu les deux. En effet, la société a du mal à admettre que la famille puisse être un lieu dangereux pour l’enfant : « Les Français pensent encore que nos frontières stoppent les réseaux pédocriminels et que ce type de scandales n’arrive que dans les pays pauvres et chez les Belges. » Et puis, certains des agresseurs qu’elle dénonce sont respectables et puissants. « Nombre de professionnels sont persuadés que les difficultés économiques et sociales sont à l’origine de la violence familiale, l’argent arrêtant - on ne sait comment - les actes incestueux. »
Les sanctions ne se font pas attendre. Elle est condamnée à trois fois trois ans d’interdiction d’exercer, la limite de la radiation. Après elle, 200 généralistes, pédiatres, gynécologues, psychiatres seront eux aussi victimes de poursuites pour avoir signalé des enfants en danger. En appel, ces lourdes condamnations tombent à quinze jours d’interdiction d’exercer et à deux blâmes. Mais il faudra plus de sept ans pour que le dernier non-lieu soit prononcé. Et le mal est fait. Les patients se font plus rares et, dès 1999, elle doit fermer son cabinet. Ses frais d’avocats sont tels qu’elle est obligée d’abandonner son logement. Ses recherches d’un emploi salarié se soldent par des échecs. Reste l’exil. Catherine Bonnet déplore le flou de la loi française, qui ne protège pas le médecin. « Que deviendront demain ces enfants victimes qui auront croisé dans le regard de leur médecin la peur de passer en commission de discipline ? » s’interroge-t-elle. En fait, un premier pas a été franchi par le Parlement, qui a introduit, en décembre 2003, une protection disciplinaire pour le médecin qui signale. Mais Catherine Bonnet pense que cette disposition ne va pas assez loin. Le signalement devrait être une obligation, comme dans la plupart des pays de l’Union européenne. Elle demande aussi une immunité pénale pour les médecins, à l’image de qui se fait au Québec, au Canada et aux Etats-Unis.
[04.06.07]
L’Enfant cassé, l’inceste et la pédophilie, de Catherine Bonnet, éditions Albin Michel, 1999, 14,90 €.
L’Enfance muselée, un médecin témoigne, de Catherine Bonnet, éditions Thomas Mols, 2007, 19 euros.
L'ENFANCE MUSELÉE
Un médecin témoigne
2007 Catherine Bonnet
En 1996-1997, en signalant aux autorités judiciaires des enfants subissant des agressions, filmées par un de leurs parents pour être enregistrées en cassettes et exploitées sur Internet, Catherine Bonnet n’avait pas imaginé qu’ils seraient considérés comme menteurs, puis qu’on s’acharnerait à les museler. Pouvait-elle penser qu’il en serait de même pour elle parce que ses prises de position indisposaient fortement ? Etait-elle en mesure d’anticiper qu’elle perdrait son travail et serait contrainte de s’exiler alors qu’elle n’avait fait que son devoir de médecin ?
L’auteur témoigne des résistances qu’elle a rencontrées pour faire entendre la voix de ses jeunes patients, tout comme celle de 200 autres médecins et autres professionnels de l’enfance indignés par les mêmes abus et victimes des mêmes pressions au silence. Elle nous fait découvrir les défaillances de la loi française envers les enfants maltraités. Elle décrit comment d’autres pays occidentaux ont résolu des situations similaires.
Catherine Bonnet est psychiatre d’enfants et psychanalyste. Elle a travaillé à Paris et à l’étranger en particulier auprès de femmes et d’enfants lors des conflits armés en Croatie et au Rwanda. Elle est l’auteur de Geste d’amour (1990, Odile Jacob), Les enfants du secret (1992, Odile Jacob), Enfances Interrompues par la guerre (1994, Bayard Presse), L’enfant cassé (1999, Albin Michel).
Elle a été décorée Chevalier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur en 2001.
Ont participé à ce livre le prof. Sir Alan Craft, le procureur Piero Forno et le prof. Jean-Yves Hayez.
http://www.jeanyveshayez.org/
Jean-Yves Hayez, psychiatre infanto-juvénile, professeur émérite à l'Université catholique de Louvain, docteur en psychologie, past chef du service de psychiatrie infanto-juvénile, Cliniques universitaires Saint-Luc, 10 avenue Hippocrate, B-1200 Bruxelles.
Courriel : jyhayez@uclouvain.be
http://www.observatoirecitoyen.be/article.php3?id_article=624
Nous publions à présent la préface de Jean-Yves Hayez, qui devrait sans peine vous convaincre de la nécessité de lire ce livre.
Préface
« Ce que vous faites au plus petit des miens, c’est à moi que vous le faites » Matth., 25, 40.
L’HISTOIRE que va vous raconter Catherine Bonnet, son histoire, est hallucinante. Sur le plan de sa carrière, cela se termine très mal pour elle, car on l’a véritablement étranglée. Heureusement deux rapporteurs du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme et une prise de position positive de la World Psychiatric Association, en juillet 2006, ont tout à fait confirmé la valeur de son travail. Heureusement, le docteur Bonnet a eu suffisamment de ressources en elle pour tenir debout et continuer à croire qu’une vie engagée valait la peine d’être vécue. Je connais suffisamment la personne et l’honnêteté intellectuelle fondamentale de Catherine Bonnet pour vous garantir que ce que vous allez lire est tout à fait fiable : l’auteur ne souffre ni de dépression chronique, qui aurait noirci en permanence son champ de vision, ni de paranoïa galopante.
Elle a eu un très grand tort, quand même, qu’elle vous raconte au début de son histoire : celui d’avoir écouté et pris au sérieux de tous petits enfants qui se plaignaient d’avoir été abusés sexuellement, avec leur vocabulaire rudimentaire et leur mémoire fragile. Et d’avoir été abusés pas par n’importe qui, mais par des personnes très proches, souvent leur papa. Très proches, mais aussi bien implantées socialement, respectables et puissants. Hélas, pour cette fois, pas des papas bien vulnérables, immigrés chômeurs et buveurs ... Après avoir bien réfléchi à ce qu’elle avait entendu, n’écoutant que sa conscience, Catherine Bonnet a signalé leur cas aux autorités compétentes. Ce faisant, elle a d’ailleurs été dans le sens de ce que la loi recommande aux professionnels, mais non sans ambiguïtés, notamment lorsqu’il s’agit de médecins. Ce n’est pas elle qui a instruit les affaires, non, ni statué finalement sur le bien-fondé de l’accusation ; elle a tout simplement fait part de sa conviction.
Eh bien, croyez-moi, cela ne se fait pas ! Les papas qu’elle mettait en question n’ont pas voulu assumer qu’après tout, elle tentait de protéger leurs enfants, la cause des enfants, comme elle l’aurait fait - comme nous devrions tous le faire ! - pour tout enfant évalué en situation dangereuse, en demandant une enquête judiciaire approfondie pour y voir plus clair. Ils ont voulu faire d’elle une sorcière hystérique et mangeuse d’homme. Et puisqu’ils étaient des gens habiles et puissants, ils ont eu l’art de mener contre elle des campagnes efficaces. Campagnes de presse. Mais surtout, campagnes auprès de certaines institutions officielles.
L’ordre des médecins départemental a marché comme un seul homme. Comme un seul homme, c’est vraiment le cas de le dire : réaction machiste d’un club de messieurs respectables et se sentant attaqués par procuration ; réaction de gens désinformés aussi : ce n’est pas une femme, n’est-ce pas, qui pouvait se voir reconnu le droit de s’arroger autant de pouvoir face à l’ordre masculin. Tous ces chefs de service très dignes, qui n’ont jamais eu dans la tête la moindre mauvaise pensée sexuelle, n’allaient quand même pas accepter qu’une espèce de folle isolée dans son coin accuse de si respectables papas !
Et bien, ils la persécutèrent : il n’y a pas d’autres mots ! Face à elle, qui n’avait fait que suivre sa conscience et se conformer à la loi, ils trouvèrent mille prétextes pour considérer comme d’horribles crimes - bien plus graves que l’abus sexuel ! - quelques maladresses dans la rédaction de ses certificats.
Petit à petit, des gens comprirent quand même les injustices qui s’abattaient sur Catherine Bonnet et se mirent à défendre sa cause. Ce fut le cas de chefs de service de pédiatrie ou de gynécologie ou de psys étrangers. Le Conseil national de l’Ordre des médecins fit preuve d’une hauteur d’esprit et d’une compréhension plus dignes. Mais trop tard pour sa carrière. Et elle n’obtint jamais de ses pairs psys les plus proches la solidarité claire qu’elle aurait méritée. Beaucoup se conduisirent en couards, donneurs de leçons, peu désireux de s’engager et de prendre des risques pour une consoeur isolée et décriée.
Cette histoire est effrayante parce que, au-delà du cas singulier de Catherine Bonnet, particulièrement persécutée pour ses convictions, elle montre combien l’aide aux enfants en difficulté reste aléatoire et risquée pour ceux qui s’y engagent corps et âme.
Quand les tout petits se plaignent d’une maltraitance physique ou sexuelle, ils devraient pouvoir être écoutés avec respect, tranquillement, sans débordement émotionnel, puis conduits très rapidement chez un spécialiste qui connaît bien et les questions de maltraitance, et la psychologie des tout petits. Des écoutants experts bien formés peuvent se forger une conviction raisonnable, affirmative ou négative, pour plus de la moitié des situations qui leur sont soumises rapidement. Celle-ci se base sur l’analyse du discours de l’enfant, le contexte de la production de celui-ci, et d’autres critères encore.
Mais à supposer que ce travail ait été fait, que l’écoutant ait l’intime conviction que tel petit enfant ait été maltraité ou abusé et qu’il le signale à qui de droit, que croyez-vous qu’il va advenir ? S’il n’y a pas de preuves matérielles concomitantes, probablement rien du tout : le suspect et ses avocats feront régner en maître l’idée qu’un petit enfant ne peut être que fabulateur, sans mémoire ou suggestionné par des adultes malveillants ; une grande majorité de tribunaux pénaux s’abriteront trop frileusement derrière le principe de présomption d’innocence pour arrêter les investigations ou innocenter les suspects : pour achever de les convaincre, les avocats agiteront, ou se contenteront même de murmurer un seul mot : « Outreau » à grands effets de manche : effet garanti pendant les dix années à venir ! Et rares seront les juges pour mineurs qui prendront la responsabilité de penser que l’enfant est quand même probablement en danger, et qu’il vaudrait mieux contrôler efficacement ou suspendre, pour une durée indéterminée les contacts avec le suspect. C’était déjà le cas en 2004 ; après, l’affaire d’Outreau a été un désastre dans ses deux étapes : celle où l’on s’est montré incompétent pour décoder les limites de certains discours d’enfants et où l’on a emprisonné à la légère des innocents ; mais l’étape retour encore plus, car elle a été exploitée de façon très perverse par l’ordre adulte dans son ensemble ; celui-ci a fait croire à tous, triomphalement, que les intervenants avaient pour manie de sacraliser la parole des enfants alors que cette parole valait bien peu de choses. Mensonge ! Utilisation perverse d’un vrai drame pour semer injustement le doute sur l’enfance ! Il ne faut jamais oublier que, pour la dizaine d’adultes injustement accusés à Outreau et qui ont souffert de façon inacceptable, il existe chaque année, en France et en Belgique, des milliers de plaintes d’enfants très probablement victimes qui ne sont pas prises au sérieux, traitées avec une bureaucratie scandaleuse ou même pas entendues. Et le plus haut magistrat de France (ou de Belgique) ne viendra jamais leur présenter ses excuses, à ces petits !
Le cauchemar va parfois plus loin. Si un intervenant s’obstine « à la Bonnet », le sort de celle-ci lui pend au nez : on ne met pas impunément en question des institutions ou des adultes puissants et respectables. Dans mon pays, en Belgique, le niveau socioprofessionnel le plus élevé des gens dont je me souviens qu’ils ont jamais été condamnés dans des histoires de moeurs ou de maltraitance physique contre mineurs, ce sont des curés ou des directeurs d’école primaires. Au- dessus, virevolte un ballet de discrets coups de téléphone dissuasifs qui s’échangent entre loges maçonniques, réseaux catholiques ou beaux-frères de ministres et l’institution policière ou judiciaire. Et il arrive que cela marche ... Tout au plus l’un d’eux va-t-il soudainement se faire hospitaliser pour soigner une dépression bien opportune et se faire oublier quelques mois. Et il ne reste plus sur le carreau que des enfants étiquetés comme fabulateurs - « à qui une psychothérapie, ça ferait tellement de bien, vous ne pensez pas, monsieur le Professeur ? » - ou alors, des enfants pointés du doigt comme vicieux et avides de vengeance ...
L’existence de ces forces de résistance énormes devrait nous inviter instamment à ne pas rester seuls devant ces situations tellement minées de partout : si nous en avons l’opportunité, prenons une précaution et donnons-nous une force supplémentaire, celle de travailler en équipe ; trouvons-nous une institution honnête - il en reste ! - prête à s’engager sans lâcheté. Ce soutien de « frères et soeurs proches » en travail peut s’avérer des plus précieux.
Alors ? Il n’y a pas de happy end facile, je l’annonçais au début. Le combat entre le Bien et le Mal fait rage dans le monde et en chacun de nous, et il nous faut choisir notre camp. Si c’est celui de la protection des plus faibles, nous connaîtrons régulièrement cette joie de voir leur sourire revenu, face à une vie redevenue plus juste ; parfois, il nous faudra nous contenter d’être à leurs côtés, impuissants à changer leur sort mais ne les abandonnant pas à celui-ci. Toujours, nous prendrons des risques qui nous éclateront parfois à la figure. Souvenons-nous alors que Catherine Bonnet et bien d’autres, connus ou anonymes, ont été jusqu’au bout !
Jean-Yves HAYEZ [2]
Limal, ce 12/09/2006
[1] Je remercie le Professeur Jean-Yves Hayez pour son soutien au cours de ces années et pour sa préface. De nombreux articles sur la maltraitance sont disponibles sur son site
[2] Professeur à l’Université catholique de Louvain
Past Chef de service de psychiatrie infanto-juvénile
Cliniques universitaires Saint Luc de Bruxelles